25% de financements supprimés
Une épée de Damoclès est suspendue au dessus de la tête des équipes de cette association qui milite pour les droits des femmes et l'éducation sexuelle. 2017 risque d’être une année dramatique. Lucie Vidal, directrice du Planning Familial de Lille, annonce que l’organisation va “perdre 30 000 euros de subventions”, soit 25% de ses financements. La subvention “tête de réseau” mais aussi les frais de fonctionnement qui représentent 30% de la charge salariale seraient supprimés par le département du Nord dès l’année prochaine. La directrice a été avertie de ces mesures drastiques en octobre dernier, lors d’une réunion avec les membres des services de la délégation santé du Conseil départemental. “Cette ligne n'apparaît plus sur notre nouvelle convention”, observe-t-elle.
Une convention qui était jusqu’à aujourd’hui triennale mais qui deviendra annuelle, dès le mois de janvier. “Cela va devenir très problématique" raconte Lucie Vidal. “Les charges ne pourront plus être anticipées et la pérennisation des emplois s’annonce encore plus compliquée” ajoute-t-elle. Le problème n’est pas nouveau. Les équipes, épuisées, passent plus de temps à solliciter des financements plutôt que de militer.
Le Conseil départemental du Nord, principal financeur du Planning Familial de Lille
Source : Bilan comptable de 2015
" La fréquentation augmente de 10% chaque année "
Pourtant, malgré la situation précaire du Planning, l’association continue toujours d’attirer un grand nombre de femmes. “La fréquentation augmente de 10% chaque année” détaille la directrice du centre. En 2015, plus de 9 000 femmes se sont rendues au Planning Familial de la Métropole Lilloise. Certaines viennent pour un suivi gynécologique, pour obtenir ou renouveler leur contraception, d'autres pour être accompagnées dans leur démarche d'avortement. Puis il y en a qui franchissent le pas de la porte juste pour se confier. “Ici on accompagne, on conseille, on écoute, il y a vraiment une relation de proximité”, explique Elisabeth Bailleux, sage-femme au Planning Familial depuis 2016. “Les jeunes ont besoin d’une prise en charge particulière qu’apporte l’association et que l’on ne trouve pas dans les hôpitaux”.
Lisa*, 34 ans a quitté son poste de consultante plus tôt ce mercredi après-midi et “personne ne doit savoir qu’elle est ici”. La jeune femme “souhaite interrompre une grossesse mais est perdue dans ses démarches”. Une amie lui a alors conseillé de venir au Planning. Lisa sait qu’ici elle "ne sera pas jugée”.
Les mineures sont également très nombreuses à se rendre à l’association. Elles représentent environ 30 % de la fréquentation. Comme Gaëlle*, 17 ans, tétanisée. Elle pense être enceinte. “Si mon père le sait, il va me tuer” s’inquiète la jeune fille qui patiente pour obtenir le résultat de son test de grossesse. Sa copine l’a dirigée vers la structure, elle sait qu’on ne retrouvera aucune trace de ses examens ici. Ces jeunes filles arrivent au Planning Familial grâce aux conseils des copines, ou aux cours d’éducation à la sexualité dispensés au collège et au lycée, en partenariat avec les équipes de l’association.
Certaines jeunes femmes ne cherchent pas forcément l’anonymat. Léa, 20 ans, étudiante en école de commerce, vient “surtout pour des questions de coûts”. La jeune fille explique qu'il "est beaucoup moins onéreux de se rendre au Planning plutôt que d’aller voir un gynécologue en ville. En plus le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous est beaucoup moins long.”
Parfois, c’est par téléphone et dans l’urgence que les patients souhaitent être renseignés. Dans le Nord, c’est la secrétaire des associations qui répond aux coups de fil. La plateforme régionale du numéro vert “Sexualités, contraceptions, IVG”, lancé par Marisol Touraine en septembre 2015, n’existe pas dans les Hauts-de-France. L’Agence Régionale de Santé, qui est en charge du financement, n’a pas mis en place ce dispositif. Un frein pour l'amélioration de l'information de proximité en terme de sexualité.

Les conditions de travail dans cette organisation historique sont de plus en plus difficiles. D’ailleurs, le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes (HCEhf) a dans son dernier rapport, en septembre dernier, dénoncé le sous-financement des associations qui défendent les droits des femmes.
C’est dans le bureau des conseillères conjugales que sont accueillies, chaque après-midi, toutes les jeunes femmes. Situé au premier étage du local, il est donc inaccessible aux personnes à mobilité réduite. “On essaye de le faire accueillant mais c’est compliqué. Si seulement c’était plus grand …”, déplore Maria, la conseillère. Mais impossible pour l’association de changer de locaux. “Le loyer serait bien trop cher, nous n’avons pas assez de subventions pour ça” regrette la conseillère conjugale. Maria raconte que les trois fauteuils en osier ont été récupérés il y a déjà longtemps. Le nettoyage des coussins ? Les membres de l'association le font directement chez elles pour éviter les frais supplémentaires de pressing. “Ici on compte la moindre dépense” confirme la directrice.
Au rez-de-chaussée, le cabinet médical accueille les femmes pour des consultations gynécologiques. Mais les professionnels de santé manquent également de matériel. “On pouvait délivrer une prémédication avant la pose d’un stérilet pour que celle-ci soit plus facile. Ce n’est plus possible” raconte Elisabeth Bailleux, sage-femme. “Un petit échographe ne serait pas de trop” renchérit-elle : “Il permettrait de dater une grossesse ou de vérifier la bonne mise en place du stérilet par exemple.”
Les locaux exigus et mal adaptés ne sont qu’une infime partie des désagréments que peut subir l’association du Planning Familial. Marie-Annick Dezitter, la vice-présidente Les Républicains en charge de la santé au département, indique “qu’un travail à ce sujet est enclenché par les services” et “qu’une solution devrait être trouvée dans les mois ou l’année qui suivent”. Mais les équipes de l’association ne sont même pas au courant de ces discussions. À Maubeuge, le Planning FamilIal occupait jusqu’à l’an passé “un local insalubre”, raconte Annie Dorchie, présidente du Planning Familial du Val-de-Sambre. Les équipes ont dû se battre pour pouvoir déménager.
Cliquez puis passez votre souris sur la photo du bureau de Maria pour découvrir ses problèmes quotidiens
Les soucis financiers ont d’ailleurs déjà eu raison de l’association locale du Douaisis, qui avait accueilli 2 255 patientes en 2013. Ouverte en 2011, cette antenne a été contrainte de fermer ses portes en décembre 2014 à la suite d’une liquidation judiciaire. “Les difficultés de gestion de l’association ont entraîné une situation financière inextricable” expliquait le Planning Familial dans un communiqué. À la suite de cette fermeture, toutes les patientes ont dû se tourner vers l’unique centre à proximité, celui de l’hôpital de Douai, à 6 kilomètres du centre ville.
“Ça nous arrangeait qu’il soit ouvert car c’était à proximité du centre ville, du lycée et des jeunes filles qui ne pouvaient pas se rendre à l’hôpital” commente docteur Anani, gynécologue obstétricien responsable du centre de planification familial de l’hôpital. Or, un planning proche, c’est plus de médecins et de conseillères susceptibles d’intervenir tout de suite. “Nous nous trouvons dans une zone précaire, il ne faut pas l’oublier”, rappelle docteur Anani. Un zone où le taux de pauvreté atteignait les 26,7% en 2013, selon l'INSEE.
Les élus déconnectés des problèmes du quotidien
Interrogées, les collectivités se renvoient la balle. À la Mairie de Lille, le Conseil départemental est pointé du doigt: “Je sais bien qu’il y a des difficultés entre le Planning Familial et le département, tous les ans à l’assemblée générale j’entends les inquiétudes”, indique Jérémie Crepel, conseiller municipal en charge de la santé. “Le budget 2017 n’est pas encore voté. Ce sera fait en février”, se défend-on au Conseil départemental. Une réponse officielle qui s'arrête là, impossible de pouvoir s'adresser aux services pour des questions plus techniques. Pour l'élu municipal, la situation du Planning Familial doit pourtant être “une priorité”. Mais à son poste, il est impuissant car la compétence revient davantage au département qu’à la ville. Des départements noyés sous les charges par l'État.
Marie-Annick Dezitter, la vice-présidente Les Républicains en charge de la santé au département, assure que le changement de convention “est fait pour coller au mieux à la réalité”. Pour l’élue, “cela ne met pas du tout en péril le Planning Familial”. Les fonctionnaires du principal financeur de l’association ont-ils bien conscience de la situation dramatique de ce planning ? “Je ne sais pas, je ne connais pas ce centre, il faut voir avec mes services” avoue la responsable politique.
La délégation de la santé à la mairie de Lille, administrée par Jérémie Crepel, soutient tout de même des actions spécifiques portées par l’association à hauteur de 7 000 euros, comme le projet “femmes ressource santé et sexuelle” mais aussi les groupes de parole pour les femmes victime du VIH. Une autre délégation, celle des droits des femmes gérée par Annie Mikolajczak, 24ème adjointe groupe Europe Écologie Les Verts, octroie une subvention d’un montant de 17 000 euros pour soutenir la présence du Planning Familial à Lille. Une somme qui reste insuffisante pour combler les charges salariales et le loyer.
Lucie Vidal, directrice du Planning Familial de Lille
Source : Rapport d'activité du Planning Familial du Nord 2015
Le Mouvement Français pour le Planning Familial est une association nationale vieille de 60 ans. 75 associations départementales sont réparties sur le territoire et toutes fonctionnent indépendamment les unes des autres.
Chaque structure est subventionnée pour son agrégation d’Établissement d’information, de consultation et de conseil familial (EICCF). “Ce financement d’état est de l’ordre de 8 euros de l’heure depuis 2002” explique Véronique Séhier, co-présidente du Mouvement Français pour le Planning Familial.
Certaines associations sont également reconnues comme des Centres d’éducation et de Planification Familiale. À la différence des EICCF, ces structures disposent de médecins et peuvent donc pratiquer des soins médicaux sur les jeunes filles. Le département est alors chargé de financer ces structures. “C’est une politique volontariste” explique Véronique Séhier. Certains conseils départementaux décident de gérer eux-mêmes leur planification familiale.
Les associations du Planning Familial sont ensuite constamment en quête d’argent et sont contraintes de diversifier leurs sources de financement. Ils répondent à des appels à projets lancés par les Agences Régionales de santé mais aussi par les communes. Dans le Nord, les trois associations locales de Lille, Cambrai et Maubeuge fonctionnent indépendamment les unes des autres. Elles vont donc, chacune, à la recherche de leurs propres financements.
UNE MÉTHODE DE FINANCEMENT TRÈS COMPLEXE